Depuis qu’il a tiré sa révérence des podiums en 2020, Jean Paul Gaultier a réinventé la couture à sa manière : en cédant les clés de sa maison à d’autres créateurs, le temps d’une collection. Un projet audacieux et inédit dans le paysage de la mode, imaginé dès les années 80 mais concrétisé bien plus tard. Chaque saison, un nouveau regard, une nouvelle écriture, mais toujours un même fil rouge : faire vivre l’esprit Gaultier — subversif, libre et virtuose.
Cinq années, sept collections, et une aventure créative hors norme qui s’achève aujourd’hui avec la nomination du Néerlandais Duran Lantink à la direction artistique de Jean Paul Gaultier Couture. Avant ce nouveau chapitre, retour sur ces réinterprétations qui ont fait vibrer la couture… à la manière Gaultier.
Chitose Abe – La couture décontractée
Première à relever le défi, la Japonaise Chitose Abe, la fondatrice de Sacai. Elle combine tailleurs couture et influences sportswear dans un patchwork de matières et d’attitudes. Marinières déconstruites, corsets fusionnés à des parkas techniques… Sa vision hybride et upcyclée évoque aussi bien Björk que Madonna, deux icônes Gaultier. Un hommage audacieux, plus cérébral que sensuel, qui amorce une couture tournée vers le quotidien.

Glenn Martens — Retour au bercail
Le créateur belge Glenn Martens, diplômé de l’Académie d’Anvers et passé par les ateliers Gaultier, offre une lecture spectaculaire du patrimoine maison. Trompe-l’œil vertigineux, jeux de volumes, asymétries savantes… Le directeur artistique de Y/Project puis de Maison Margiela injecte sa vision expérimentale dans les codes iconiques de Gaultier. Une performance visuelle, où la couture flirte avec l’art optique.



Olivier Rousteing — Un hommage millimétré
Avec Olivier Rousteing, le défilé devient un hommage vibrant à l’homme Gaultier. Le directeur artistique de Balmain embrasse le kitsch assumé : corsets coniques, robes flacons « Classique », marinières oversize… Jusqu’au flacon de parfum décliné en sac ou imprimé. Le tout projeté en direct sur écran géant pour les fans. Une célébration pop, presque littérale, mais diablement efficace.



Haider Ackermann — En quête de l’essentiel
À contre-courant de ses prédécesseurs, Haider Ackermann fait le choix du minimalisme. Lignes pures, gestes retenus, allure presque monacale. Une collection tout en délicatesse, qui recentre l’attention sur l’excellence artisanale des ateliers. Moins spectaculaire, certes, mais d’une rare justesse. Une forme de poésie silencieuse, qui divise autant qu’elle fascine.



Julien Dossena — Ménage à trois
Le directeur artistique de Rabanne, Julien Dossena, imagine un défilé comme une balade dans Paris. Chaque look devient un personnage de roman urbain. Maille métallisée façon Rabanne, bustiers en cravates, imprimés animaliers, rayures chères à Gaultier… Tout se mêle dans un patchwork flamboyant. Un hommage croisé où la mode devient narration, entre Paco et Jean Paul.



Simone Rocha — À l’opéra
Avec Simone Rocha, la maison Gaultier s’aventure du côté de l’opéra. Corsets brodés, tulle vaporeux, perles et dentelles religieuses composent un vestiaire dramatique et romantique. Des silhouettes enveloppées comme des chrysalides, dans une palette de rouge, noir et nude. Une réinterprétation féminine et baroque de l’héritage Gaultier, portée par la sensibilité gothique de la créatrice irlandaise.



Ludovic de Saint Sernin — Le Naufrage
Dernier invité de cette parenthèse créative, Ludovic de Saint Sernin clôt ce cycle avec panache. Sa collection Le Naufrage, inspirée d’un look Gaultier de 1997 (et de son célèbre chapeau-bateau), convoque sirènes et pirates sensuelles, bustiers nacrés et silhouettes mouillées. Une déclaration d’amour flamboyante, saluée par la critique, comme un feu d’artifice final avant le changement de cap.



Avec l’arrivée de Duran Lantink — connu pour son approche irrévérencieuse et durable de la mode — la maison Jean Paul Gaultier entame un nouveau chapitre. Fini les collections ponctuelles, place à une direction artistique affirmée. Une transition vers davantage de stabilité, sans doute, mais avec, espérons-le, la même liberté créative.