Pour sa première collection en tant que directeur artistique de Maison Margiela, le créateur belge Glenn Martens a choisi de faire ses débuts dans l’univers exigeant de la Haute Couture. Un terrain ambitieux, d’autant que le précédent défilé signé John Galliano avait laissé une empreinte spectaculaire. Plutôt que d’entrer en confrontation avec cet héritage récent, Martens préfère plonger dans les origines de la maison, en convoquant l’ombre fondatrice de Martin Margiela. Résultat : un défilé dense, masqué, référencé, qui marque les esprits.
Retour aux fondamentaux Margiela
Pas de détour pour Glenn Martens : il entre dans la maison par la grande porte, celle de la Haute Couture. Un choix audacieux pour ses débuts, à la suite du choc visuel du défilé printemps-été 2024 de Galliano, salué pour sa mise en scène théâtrale et sa précision chorégraphique.



Plutôt que de rivaliser, Martens prend une autre voie : celle du retrait de l’individualité pour mieux recentrer l’attention sur le vêtement. Tous les mannequins sont masqués — une signature historique de Martin Margiela dès 1989 — comme un clin d’œil assumé à l’ADN de la maison, mais aussi une critique douce des castings actuels trop marqués par des visages « stars ». Ici, le vêtement est le protagoniste, et rien d’autre.
Le lieu du défilé renforce ce retour aux sources : le 104 à Paris, là même où Margiela avait présenté son ultime collection en 2008. Un site chargé de symbolique, que Martens réactive sans tomber dans la nostalgie. Il ne s’agit pas de rééditer le passé, mais de s’en servir comme tremplin pour écrire l’avenir.
Une vision couture entre mémoire et métamorphose
Le défilé s’ouvre sur trois silhouettes encore sous plastique : comme des créations en attente d’éveil, suggérant une mode encore en gestation. À mesure que les passages s’enchaînent, les volumes se libèrent, les couleurs émergent, les matières prennent vie. On assiste à une sorte de renaissance du vêtement, orchestrée avec délicatesse.


Les silhouettes 9 à 11 illustrent cette montée en puissance : les ateliers ont recréé des textures proches du vivant. Des coupes chirurgicales côtoient des matières organiques. Des plumes d’oiseau apparaissent dans un perfecto, ailleurs elles forment une jupe légère. Un costume recouvert de pierres évoque un plumage de paon en parade. La collection vacille entre l’animalité et le raffinement, entre le brut et l’élégant.


Certaines silhouettes semblent sorties d’un rêve sépia : patchworks de tissus vieillis, textures effacées… jusqu’à ce qu’un détail détonne : des ongles rose fluo percent un manteau sombre, comme une provocation, un éclat pop dans un récit pourtant feutré.
Un final entre fluidité, fantaisie et espoir
Les dernières silhouettes montent encore en intensité. Cintrées, fluides, presque liquides, elles redessinent les lignes du corps sans le dévoiler complètement. Le vêtement devient fluide, mouvant, presque aquatique.
Puis les plumes réapparaissent, jusqu’à recouvrir les corps comme une seconde peau. Et vient la silhouette finale : une robe vert néon, souple et végétale, surmontée d’un masque parsemé de cristaux et de tissu. Une image de germination, de naissance en devenir. L’allégorie est claire : la couture de Glenn Martens éclot à peine, mais elle annonce une nouvelle ère.
Ce premier défilé Haute Couture chez Maison Margiela confirme le positionnement singulier de Glenn Martens : respectueux de l’histoire, ancré dans la mémoire textile, mais prêt à inventer un langage propre. Une couture en éveil, délicate et structurée, qui pose les fondations d’une direction artistique belge, radicale et poétique.