Cannes 2025, quand les marques font leur cinéma 

Juin 3, 2025 | Culture, Fashion

L’édition 2025 du Festival de Cannes s’est ouverte sous de nouvelles règles vestimentaires inédites — robes à traîne et transparence proscrites — relançant le vieux débat entre cinéma et mode. Si le festival affiche sa volonté de recentrer l’attention sur le cinéma, les maisons de couture, elles, s’enracinent de plus en plus profondément dans les coulisses du septième art : coproductions, mécénat, prix dédiés… Leur présence dépasse désormais le simple défilé sur tapis rouge.

Coup de théâtre sur la Croisette 

À peine 24 heures avant l’ouverture, le Festival a créé la surprise en interdisant les tenues jugées trop volumineuses ou suggestives. Officiellement, il s’agit de fluidifier la montée des marches et de redonner la priorité au cinéma. Mais en creux, ce choix s’apparente à une tentative de réaffirmation artistique face au spectacle de mode qui s’est peu à peu imposé.

Les réactions n’ont pas tardé : sur les réseaux sociaux, anonymes et célébrités s’insurgent contre une mesure jugée rétrograde. Car le tapis rouge cannois est devenu une scène à part entière où les maisons de luxe expriment leur créativité, habillant les figures les plus en vue du moment.

Le mécénat de luxe 

Mais l’influence des marques va bien au-delà de la montée des marches. Elles investissent désormais dans la structure même du Festival. Exemple emblématique : le prix Women in Motion, lancé par Kering il y a dix ans, qui met en lumière les femmes du cinéma, qu’elles soient actrices, réalisatrices ou techniciennes. Cette année, Nicole Kidman en est la lauréate, incarnant à elle seule la diversité et la longévité des carrières féminines à l’écran.

Autre initiative remarquable : le Grand Prix Ami Paris, qui récompense les jeunes talents de la Semaine de la Critique. En 2025, la maison co-produit Enzo, de Robin Campillo, projeté en avant-première à Cannes. Et si AMI investit dans le fond, elle n’oublie pas la forme : sur le tapis rouge, Rossy de Palma arborait une création signature, entre robe et manteau.

Des maisons de couture aux maisons de production

Certaines maisons franchissent un cap en devenant elles-mêmes productrices. Saint Laurent ouvre la voie avec Saint Laurent Productions, et l’ambition de sortir deux à trois longs-métrages par an. Premier coup d’éclat : Emilia Perez de Jacques Audiard, primé et oscarisé malgré une production agitée.

Chanel suit le mouvement en soutenant The Chronology of Water, premier film réalisé par son égérie Kristen Stewart, présenté dans la sélection Un Certain Regard. La maison habille aussi Les Aigles de la République, avec Lyna Khoudri, et produit Arco, premier film d’animation d’Ugo Bienvenu.

Dior : un héritage hollywoodien en voie d’être réactivé 

Longtemps cantonnée à son rôle d’habilleur, Dior renoue avec ses racines cinématographiques. Christian Dior signait déjà des costumes pour le cinéma bien avant de lancer sa maison, notamment pour Le Grand Alibi d’Hitchcock. En 1954, il est même nommé aux Oscars pour son travail de costumier.

La maison a depuis collaboré avec des cinéastes comme Sofia Coppola ou David Lynch pour des formats courts. Aujourd’hui, elle semble prête à aller plus loin. Jonathan Anderson, nouveau directeur artistique de Dior Homme — et créateur des costumes de Queer de Luca Guadagnino — pourrait bien donner un tournant cinématographique plus affirmé à la maison.

Sur les marches cette année, Dior habillait Juliette Binoche, Géraldine Nakache, Safran Vadher ou encore Quentin Tarantino, entre robe-nuisette orange et costume minimaliste. Une visibilité forte qui pourrait bientôt s’accompagner d’un rôle plus stratégique en coulisses.

En resserrant l’étiquette du tapis rouge, le Festival de Cannes tente de rappeler que le cœur de son événement reste le cinéma. Mais le paradoxe est là : alors que l’on veut freiner le show de mode, les maisons de couture, elles, s’installent comme de véritables actrices du monde cinématographique. De Saint Laurent à Dior, en passant par Chanel et AMI Paris, la mode ne se contente plus de vêtir les récits — elle les finance, les produit, les incarne. Cannes 2025 consacre ainsi un cinéma habillé — et parfois écrit — par les marques.

Article de Julie Boone.