Bien que la London Fashion Week ait été mise entre parenthèses cette saison, la scène créative britannique, elle, continue de rayonner avec une force insoumise. Martine Rose et Charles Jeffrey en tête, suivis par une nouvelle génération formée à Central Saint Martins, démontrent que la mode anglaise ne disparaît pas — elle se réinvente. Hors cadre, mais au cœur des enjeux esthétiques et politiques.
Martine Rose, en dehors du système mais moteur de changement
Après un passage remarqué à Milan, Martine Rose fait son retour à Londres, refusant les contraintes du calendrier officiel. Elle organise un show en marge, dans un esprit résolument communautaire. Son t-shirt-manifeste : “Everything Must Change”, dit tout. La créatrice ne veut pas seulement montrer une collection : elle entend bousculer les règles du jeu.
Le lieu ? Un hall transformé en espace hybride, avec stands de vinyles, vêtements et magazines. L’ambiance évoque plus une foire culturelle qu’un défilé traditionnel. Une proposition qui résonne avec la dynamique inclusive et engagée de la Slow Fashion Week récemment organisée à Marseille.



Sur le podium : micro-shorts, chaussettes de foot, cheveux bouclés 80s, sacs en papier kraft partagés entre deux modèles, Nike Shox vintage, maillots de foot à volants portés avec des escarpins. Un casting urbain et fantasque, un pied de nez au conformisme, une galerie de genres en mouvement.
Martine Rose ne suit pas les normes, elle construit une nouvelle scène, faite de rituels collectifs et de masculinités multiples.
Charles Jeffrey : mode, performance et exubérance
Direction les studios mythiques d’Abbey Road, où Charles Jeffrey et son label Loverboy fusionnent mode et performance artistique. Pas de runway classique ici : les mannequins deviennent interprètes de leurs tenues, dans une mise en scène librement orchestrée.



Les références maritimes sont revisitées avec panache : cache-œil de pirate, chapeaux de capitaine, cordages transformés en robes, chemises portées à l’envers, rayures déglinguées. L’énergie punk-pop de Loverboy s’exprime dans les noeuds surdimensionnés, les peintures corporelles, le crochet délicat et les imprimés all-over.
Une esthétique explosive, entre narration queer et théâtralité assumée, pensée comme une partition de “Prepared Piano” : imprévisible, mais soigneusement construite.
À la Central Saint Martins, la relève s’affirme — politique et poétique
Tandis que les grands noms innovent en marge, les étudiants de Central Saint Martins continuent de propulser la mode britannique dans un futur aussi radical qu’engagé. Cette saison, plusieurs propositions ont marqué les esprits :
- Myah, dont la silhouette portée par Erykah Badu aux Billboard Awards a fait sensation, sculpte le vêtement autour de la mémoire et du corps. Volumes amplifiés, textures inattendues : une mode-objet chargée de symboles.
- Seenseo, avec une approche absurde et taquine, insère des objets dans ses vêtements, joue sur les formes cachées ou collées. Une réflexion entre humour et fonction, à la manière d’un Jonathan Anderson version pop surréaliste.
- mariesssschulze, quant à elle, politise le tailleur féminin après une immersion au Parlement allemand. Elle détourne les codes institutionnels : manches extra-longues, revers multipliés, couleurs pastels inattendues. Une lecture ironique du pouvoir vestimentaire, où rigueur et sarcasme se rencontrent.



Londres, toujours debout — même sans Fashion Week officielle
La London Fashion Week n’a pas eu lieu officiellement, mais elle a bien eu lieu. Dans les marges, dans les studios, dans les écoles, l’énergie créative n’a pas faibli. Mieux : elle a permis de repenser le format, de déconstruire les automatismes, d’oser une autre temporalité.
Entre rassemblements informels, happenings exubérants et collections engagées, la mode londonienne continue d’exister, vivante, multiple, politique. Sans calendrier imposé, mais avec plus de sens.
Article de Julie Boone.