D’abord pensé pour disparaître, le camouflage est devenu un motif impossible à ignorer. Des champs de bataille aux podiums en passant par les rues de Bruxelles ou d’Anvers, il a été tour à tour militaire, militant, mode. Aujourd’hui, il revient en force dans les collections de 2025, revisité par des marques cultes comme BAPE ou Louis Vuitton, et s’impose comme l’un des imprimés les plus riches en contradictions de notre époque.
D’un outil de guerre à un symbole culturel
C’est en pleine Première Guerre mondiale que le camouflage voit le jour sous sa forme moderne. Et c’est un peintre français, Louis Guingot, qui en développe les premiers prototypes pour les troupes françaises. L’objectif ? Cacher les soldats, les fondre dans le décor. Une petite révolution quand on sait qu’à l’époque, les uniformes militaires étaient conçus pour être… voyants.



Durant la Seconde Guerre mondiale, l’imprimé se perfectionne : blanc cassé en hiver, vert-brun en forêt, chaque version colle à son environnement. Mais dans les années 1960, le motif entame une nouvelle vie symbolique. En pleine guerre du Vietnam, les militants pacifistes américains se l’approprient, retournant le sens du camouflage : de tenue d’invisibilité, il devient porte-voix politique.
BAPE, maître du camouflage 2.0
À partir des années 1990, le camouflage infiltre la pop culture, bien au-delà des cercles militants. John Galliano chez Dior, Destiny’s Child en mode “survivor”, ou encore Paris Hilton, qui l’associe volontiers à des teintes rose bonbon… Le camo s’invite partout : décalé, sexy, clinquant.
Un virage que la Gen Z, aujourd’hui, n’hésite pas à embrasser de nouveau, dans un esprit plus nostalgique ou expérimental.
Difficile de parler camouflage sans évoquer A Bathing Ape® (BAPE). Fondée par Nigo à Tokyo en 1993 (désormais directeur artistique de Kenzo), la marque japonaise signe dès 1996 un camo ultra-graphique, signature visuelle immédiate.


En 2025, BAPE poursuit sa réinvention du genre avec sa collection “Connect with People”. Ici, le camouflage devient manifeste : véhicule d’un message d’unité et d’humanité, dans un monde marqué par les tensions. L’esthétique reste fidèle à son ADN : inspiration sportswear, culture années 2000, références au graffiti, au snowboard, au football américain.
Parmi les pièces fortes : vestes militaires avec découpes laser 3D, pantalons techniques, le grand retour du Shark Full Zip Hoodie en version Tree Edge Camo, mais aussi un nouveau motif Cloud Camo, développé en denim teint avec des broderies Sashiko, savoir-faire japonais ancestral.
Un message fort dans une époque en quête de repères visuels… et sociaux.
Un imprimé plus politique que jamais
Le camouflage ne s’arrête pas aux marques street. On le retrouve aussi dans les collections automne-hiver 2025 de Louis Vuitton, ou encore chez Blue Marble, dans des versions plus fluides, loin des archétypes militaires.
Sur les réseaux, il est omniprésent : porté par Mélissa Bon (en sac Diane V.), Paloma Elsesser (en tee-shirt), ou encore Sierra Rena, styliste new-yorkaise qui l’associe à des shorts cargo.


Plus globalement, il s’inscrit dans le revival actuel des surplus militaires : retour des vestes M65, treillis vintage, casquettes… avec le camo comme chef de file.
Paradoxe ultime : pensé pour se fondre dans le décor, le camouflage est devenu l’un des imprimés les plus expressifs de la mode contemporaine. Tantôt politique, tantôt esthétique, il joue sur les tensions, entre visibilité et dissimulation, engagement et style, héritage et subversion.
Et si porter du camouflage en 2025, c’était plus qu’un choix vestimentaire ? Une manière d’affirmer sa présence, son histoire, ses contradictions — dans une époque qui en regorge.
Article de Julie Boone.