Depuis les années 1980, Rei Kawakubo a prouvé que le noir n’était pas une absence, mais une matière à part entière. Chez Comme des Garçons, cette « non-couleur » devient un langage, un manifeste, un terrain d’expérimentation qui fait dialoguer mode, art et philosophie.
1981 : le choc parisien
Lorsque Comme des Garçons débarque à Paris en 1981, la mode japonaise n’a pas encore conquis l’Occident. Avec ses coupes asymétriques, ses tissus volontairement usés et sa palette restreinte au noir, Rei Kawakubo provoque un véritable séisme esthétique. La presse de l’époque parle de « Hiroshima chic » : une formule maladroite mais révélatrice de la rupture radicale qu’elle impose. Le noir devient alors un cri silencieux, un vecteur d’anti-fashion.
Un vêtement qui questionne le corps
Chez Rei Kawakubo, le vêtement ne cherche pas à flatter mais à interroger. Le corps est transformé par des volumes inattendus, des bosses artificielles ou des drapés exagérés. La collection « Dress Meets Body, Body Meets Dress » de 1997 reste emblématique : silhouettes gonflées, formes dérangeantes, réflexion sur le corps féminin et la maternité.


Cette démarche s’accompagne de castings iconoclastes. Dans les années 1980, Jean-Michel Basquiat défile pour la marque ; plus tard, c’est Dennis Hopper qui foule le podium. Preuve que Comme des Garçons dépasse la mode pour devenir performance artistique.
Le noir comme matière fertile
Loin d’un noir uniforme ou mortifère, Rei Kawakubo en explore toutes les nuances : du mat au brillant, du transparent au dense, du noir charbon au noir bleuté. En 2009, elle pousse même le concept plus loin en lançant Comme des Garçons Black, une ligne centrée sur cette teinte, conçue en pleine crise économique comme un retour à l’essentiel.



Comme le souligne l’historien Michel Pastoureau : « Le noir est une couleur fertile. » Chez Comme des Garçons, il devient synonyme de liberté créative, de résistance à l’éphémère, d’affirmation d’une identité forte.
Un manifeste toujours actuel
Le noir de Comme des Garçons dialogue avec d’autres figures de l’avant-garde comme Yohji Yamamoto ou Ann Demeulemeester, qui en ont aussi fait un outil de narration. Mais chez Kawakubo, il va plus loin : il habille autant l’esprit que le corps, échappant aux diktats de séduction pour se faire réflexion.


Dans un monde saturé d’images et de couleurs, Rei Kawakubo continue de prouver que le noir peut être vibrant, mouvant, indocile. Chez Comme des Garçons, il est tout sauf neutre : il reste une arme poétique et politique.